Aviator
Vu le 6/2/2005 à l'UGC Odéon Salle 1 en VO
Conditions : correctes
Post Générique : non
Conditions : correctes
Post Générique : non
Budget conséquent, plein de stars le tout pour une biographie sur un personnage hors norme comme les USA les aime : Aviator est un film de prestige d'où ses nombreuses nominations aux Oscars. Dans le même genre de films de prestige, on a également Ray (bio sur Ray Charles) et Neverland (sur le créateur de Peter Pan) eux-mêmes nominés plusieurs fois.
Et le pognon se voit à l'écran avec des décors sublimes entre cinéma et salle de danse, des costumes et des robes de gala, beaucoup de figurants et des avions de collection (enfin ils sont de collection maintenant) en pagaille.
Côté technique, les effets spéciaux (concernant les avions en synthèse) ont un teint un peu brillant mais, au delà du réalisme, les balais aériens demeurent très jolis à voir.
Pour Martin Scorsese, Aviator est un film de commande mais cette remarque ne doit pas entrer en ligne de compte dans la qualité du film tant Scorsese semble avoir pris à bras le corps le sujet. Rappelons aussi que Raging Bull fut lui même une commande faite par De Niro (comme le dit Paul Schrader, scénariste de Taxi Driver et Raging Bull, dans son entrevue à Mad Movies).
Avec une mise en scène est rigoureuse et sans esbroufes, Scorsese raconte les passions et les obsessions, les déboires et les succès, les conquêtes et les déceptions, étalée sur 20 ans, du milliardaire Howard Hugues. Un portrait forcément partiel et partial qui pourra perdre le spectateur qui ne connaît rien de Hugues d'autant que les 2h45 fourmillent de détails sur son train de vie et ses fixations (la taille des petits poids, les seins de Jane Russell) et ses talents d'ingénieur et d'entrepreneur. Talents qui semblent dans "Aviator" uniquement mis au service de ses passions plutôt onéreuses et de coups de poker presque hasardeux. La vision demeure cependant passionnante.
Car Scorsese trouve dans ce film quelques-uns de ses thèmes de prédilection. Ainsi il dépeint la solitude qui s'empare de Hugues. Car, à force de persévérer dans la quête sans fin de tous les sommets, on termine désespérément seul. Le film s'arrête au début des années 50. Hugues mourut en 76. Mais Aviator laisse penser que nous assistons aux derniers instants où l'excentrique tente de se libérer de ses peurs, où il tente de garder contact comme lorsqu'il laisse sa compagne Ava Gardner l'approcher et le raser, lui faire passer sa peur de l'eau et de ces microbes. Mais la chute semble inexorable et annoncée notamment au travers de ses longs passages dans des toilettes.
Quelques excellentes scènes évoquent en fait ses travers et ses peurs comme lorsque que Hughes s'enferme un temps indéterminé dans sa salle de projection et qu'il donne ses ordres par magnétophone dans une crasse totale. Mais nous sommes encore loin des descriptions de sa déchéance (et imaginaires?) et des machinations qu'il élabore dans les derniers romans (les immenses American Tabloid et American Death Trip) d'Ellroy. Et qu'il soit grand ou déchu, DiCaprio, beau et immature, crève l'écran comme il ne l'avait encore jamais fait.
Attardons-nous enfin sur l'aspect politique de l'oeuvre. Durant la séance, je n'y ai pas prêté attention mais une remarque dans un forum (plutôt politique) m'a incité à revoir l'oeuvre sous cet angle. Cet aspect est notamment introduit par une scène plutôt amusante où Hugues rencontre la famille Hepburn, très libérale (au sens américain, en gros des démocrates) (la mère est jouée par une des actrices récurrentes de la série étrange Six Feet Under : France Conroy). Famille de nantis et donneuse de leçons que Hugues n'hésite pas à remettre à sa place :
- Nous ne parlons jamais d'argent.
- Vous n'avez pas besoin de parler d'argent parce que vous en avez.
La dernière partie du film s'attarde sur un procès (un genre en soi) entre lui et une commission de l'état l'accusant d'avoir voler l'argent des américains. Mais le procès est biaisé : le président de la commission (excellent Alan Alda) est corrompu et n'est que le jouet de la Pan Am, qui désire que l'état vote une loi (écrit par les cadres de la pan am!) pour qu'elle acquiert un monopole aérien forçant Hughes à céder sa compagnie (TWA).
Et malgré tous ses défauts et obsessions, Hughes devient finalement un symbole de la liberté d'entreprendre dans toute sa splendeur n'hésitant pas à s'investir totalement dans ses projets mais aussi dans toute ce qu'elle peut comporter de risqué (et d'injuste diront certains), Hughes mettant à plusieurs reprises ses entreprises et donc ses employés. Ses relations avec ses employés est d'ailleurs intéressante car il paye très grassement ses employés et leur demande le maximum (comparer devant une commission de censeurs la largeur de décolletés par exemple) tout en conservant hélas une certaine (grande parfois) part d'arbitraire, sa parano le conduisant à virer un balayeur.
Mais c'est avec un certain bonheur qu'on assiste à la vision d'un film qui brocarde l'hypocrisie et la condescendance des pseudo-progressistes et autres bien pensants. Aviator égratigne au passage le patriotisme béat devenu un instrument de manipulation des masses et prend même des allures de charge contre l'état tout puissant (providence?). De nos jours et dans notre beau pays, c'est presque subversif.
Aviator est donc un très bon film, maîtrisé de bout en bout tout en étant parfois mystérieux sur ce personnage si complexe. Peut-être lui manque t'il quelque chose qui le hisserait dans ma catégorie des grands films, de ceux qui me touchent. Le panache peut-être. Mais quel spectacle! Même si ce n'est pas pour ce film qu'il l'aura le plus mérité, Scorsese ne volera pas son oscar.
La scène qui tue : "The way of the Future, the way of the Future, the way of the Future..." et le regard de Hugues dans le miroir. Superbe.
Revoir le film : vais-je acheter le DVD ou attendre une hypothétique diffusion à la télé? Le DVD sans doute.